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littérature et histoire - Page 3

  • Jules César : un des rares grands écrivains qui ne soit pas homme de lettres

    De ses nombreuses œuvres il ne nous reste de César que ses Commentaires sur la guerre des Gaules et sur la guerre civile, que tous ceux qui ont fait du latin pendant quelques années ont étudiés. La guerre des Gaules est racontée en sept livres. Le premier livre contient les campagnes de César contre les Helvètes et les Germains d’Arioviste, qui menaçaient de s’établir en Gaule et, partant, aux portes de l’Italie. Aux deuxième et troisième livres nous assistons aux luttes du général et des ses lieutenants : au Nord-Est contre les Belges, à l’Ouest en Armorique et en Normandie, au Sud-Ouest en Aquitaine. Pour briser tout lien entre les Gaulois et les barbares du dehors, César va frapper de grands coups en Grande-Bretagne et au-delà du Rhin (quatrième livre). Cependant les Gaulois ont compris que les Romains sont venus chez eux, non pour les défendre, mais en conquérants.

    Du coup Ambiorix et Indutiomar chefs respectivement des Eburons et des Trévires, songent à organiser une révolte d’ensemble et font courir les plus grands dangers à l’armée romaine (cinquième et sixième livres). Bientôt même une ligue nationale s’est formée, et toute la Gaule se lève à l’appel de Vercingétorix. La victoire hésite un instant, et César est obligé de lever le siège de Gergovie. Cela étant Vercingétorix est contraint de s’enfermer dans Alésia, et finit par succomber malgré l’énergie désespérée qu’il met à sa résistance (septième livre). Un huitième livre composé par Hirtius, lieutenant de César, achève le récit de la soumission des Gaules (prise d’Uxellodunum en 51 av. J.C.) et retrace l’accueil triomphal de César à son retour en Italie. Les Commentaires sur la guerre civile ne se composent que de trois livres et comprennent les évènements du début de la guerre en Espagne (livre1), en Afrique(livre 2), jusqu’à Pharsale et au commencement de la guerre d’Alexandrie.

    Si l’on étudie de près les œuvres historiques de César, les Commentaires devraient plutôt s’appeler les Mémoires. En effet, comme nous l’avait appris notre professeur de latin, le mot Commentaires que nous avons francisé et que nous employons généralement pour étudier l’œuvre de César et le titre qu’il lui donna, signifie Mémoires. Si j’apporte cette précision c’est avant tout pour rappeler que ces écrits, composés au lendemain des luttes qu’ils racontent, sont destinés avant tout à la gloire personnelle de César, loin donc de l’impartialité que l’on attend d’un historien quand il traite d’un passé déjà lointain.

    Cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne faille pas prendre en compte ce qu’il raconte, mais même s’il ne se laisse pas aller à la vanterie, même s’il ne se met pas en scène constamment, son texte fait sentir partout sa présence. Il sait aussi admirablement présenter les faits de façon à susciter l’approbation du lecteur.  En revanche, même s’il parle sans haine de ses ennemis, il ne manque pas de souligner leurs défauts. Pour lui Vercingétorix et Arioviste sont d’abord des barbares courageux et violents, oubliant l’héroïsme du héros malheureux d’Alésia ou l’habileté du chef germanique. Toutefois si l’impartialité lui fait défaut, il faut en revanche souligner l’exactitude matérielle des faits rapportés, au point que l’archéologie et la science militaire peuvent prendre son livre pour guide.

    En fait César est tout simplement un grand écrivain. Par la grandeur des évènements qu’ils retracent, par le génie de leur auteur, les Commentaires sont une authentique et importante composition historique, même s’ils n’en ont point la forme. Certains disent qu’il a écrit comme il a fait la guerre, en allant droit au but. N’oublions pas que César était d’abord un général et un homme d’Etat, et en aucun cas un peintre ou un moraliste. Chez lui, point de préambule où il explique ses intentions ou ses goûts, pas de portraits longuement étudiés qui nous font rentrer dans l’âme des acteurs de l’histoire, ce qui nous permet d'être tout de suite dans le vif du sujet. 

    La Guerre des Gaules s’ouvre par une description purement topographique du pays, et si au sixième livre il écrit une vingtaine de chapitres sur les mœurs des Gaulois et des Germains, il ne donne point d’autres détails sur ces peuples que ceux qu’il lui importait de savoir avant sa guerre de conquête. Il voit les faits, l’état des institutions, ce qui nous permet de discerner un commencement d’organisation féodale en Gaule. « Non seulement toutes les cités, mais aussi tous les bourgs et toutes les parties de bourg, et même toutes les familles renferment des factions…Ces factions ont pour chefs ceux qui passent, dans l’opinion du pays, pour avoir le plus d’autorité ; c’est à leurs décisions qu’on s’en réfère pour les délibérations et les questions générales. Le but de cette institution, qui est fort ancienne, paraît être d’assurer une protection à tout homme du peuple contre les puissants ». Au passage on peut mesurer la finesse de l’observation !

    Mais de ces faits, il ne tire aucune réflexion sur la destinée ou l’avenir de la nation gauloise. Il se contentera simplement de profiter des divisions amenées par ce morcellement du pouvoir. César sera tout aussi sobre dans la Guerre civile qui, par son sujet même, semblait appeler des considérations politiques. En outre, dans les quelques discours que l’on rencontre dans les Commentaires aucun n’a l’ampleur que ces morceaux prennent d’habitude chez les historiens anciens. En fait ce sont des résumés où ne trouve place que ce qui intéresse directement la situation présente, ou encore ce qui pouvait toucher et convaincre les hommes auxquels il s’adresse. Point de rhétorique, que de l’action ! Et ces actions, aux yeux de César, n’avaient besoin d’aucun ornement. Il est vrai que la matière de l’ouvrage était assez large pour qu’il fût assuré d’obtenir toujours l’intérêt, sans avoir besoin de le solliciter.

    Le style est tout aussi sobre avec essentiellement des phrases courtes. Cicéron est sans doute celui qui l’a le mieux caractérisé quand il en a loué la nudité, la pureté, la beauté sans parure, quand il a dit  à propos des Commentaires « qu’ils sont comme de belles peintures placées dans un beau jour ».  L’expression qu’il cherche et qu’il trouve est toujours la plus propre, la plus simple, et la plus usitée. Dans son traité de l’Analogie, il recommandait particulièrement  « d’éviter, comme un écueil, les expressions nouvelles et insolites ». Enfin, malgré toute sa culture, il ne s’interdisait point les négligences ou les répétitions, pensant que cela pouvait rendre ses textes encore plus captivants. En tout cas, même s’il leur manquait l’émotion et la chaleur, les Commentaires de César sont sans aucun doute une des œuvres la plus accomplie de la prose latine.

    Michel Escatafal

  • Lucrèce : un poète à la passion généreuse

    lucrèce.jpgLes anciens ont fort peu parlé de Lucrèce, au point que les renseignements sur sa vie nous font presque complètement défaut. A peine sait-on qu’il naquit à Rome d’une famille riche d’origine noble un peu avant l’an 100 av. J.C., mais le mystère qui enveloppe sa naissance et même sa vie tout court plane aussi sur sa mort que l’on situe en 55 av. J.C., date à laquelle il se serait suicidé en se perçant de sa propre main, comme le rapporte Saint-Jérôme. Toutefois nous savons qu’il se consacra entièrement à l’étude et à la poésie, et que la postérité n’a retenu de lui que son poème intitulé De Rerum Natura ou si l’on préfère en français de la Nature, publiée sans doute par Cicéron.

    Cette œuvre divisée en six livres, dont le dernier paraît inachevé, est l’exposé du système du monde d’après la physique d’Epicure (342-270 av. J.C.), empruntée à Leucippe  et Démocrite qui vécurent deux cents ans avant lui. Cette philosophie à la fois très aride et très simple est exposée avec une belle rigueur par Lucrèce. On peut la résumer en disant que la matière est éternelle, que rien ne naît de rien, et que rien ne retourne au néant.  Tout cela évidemment ne pouvait pas plaire aux esprits religieux, et notamment aux penseurs chrétiens, ce qui explique qu’il fallut attendre Montaigne et plus tard les philosophes du dix-huitième siècle pour qu’on le redécouvrît.

    Mais que peut-on dire de la poésie de Lucrèce ? Tout d’abord dans son poème l’impression qui ressort dès le début de la lecture est la tristesse, ce qui ne correspond pas au système épicurien fait d’une sagesse souriante. Pour Lucrèce l’homme est marqué  dès sa naissance pour le malheur, comme en témoignent ces mots  : « le nouveau-né semblable au nautonier jeté sur le rivage par la fureur de la mer, gît à terre, nu, sans langage, dénué de tout ce que la vie réclame…il remplit l’espace de vagissements lamentables, et c’est justice : il lui reste tant de maux à traverser dans le cours de la vie ». De plus, de quelque côté que l’homme se tourne, partout la souffrance se présente à lui, « les saisons nous apportent les maladies, la mort vague au hasard et vient sans être attendue ». On voit que le poète vivait dans une société troublée, comme c’était le cas à son époque à Rome !

    Cela dit, de cette désolation naît dans l’âme de Lucrèce la pitié pour tous ces malheureux à qui on ne sait quelle consolation leur offrir. La religion ? Certainement pas car cette religion est une des causes de leurs malheurs, ajoutant à leurs maux trop réels des maux imaginaires. Pour Lucrèce « le genre humain gît honteusement écrasé sous le poids de la superstition, monstre dont la tête apparaît dans les régions célestes, et dont l’affreux regard terrifie les mortels ». En fait le poète poursuit un but à la fois noble et généreux, « cherchant les mots et les vers  qui seuls peuvent offrir à l’esprit une clarté lumineuse ». Cet amour pour l’humanité douloureuse donne à sa poésie un accent de tendresse grave, et imprime à son œuvre un caractère d’indignation sincère et passionnée. Sa logique n’est pas celle froide des physiciens et des géomètres, mais vient du cœur.

    Pour Lucrèce, délivrer les âmes de la crainte des dieux et de la mort rendra aux hommes plus de sérénité, et leur permettra de jouir enfin d’un repos auquel ils n’osent même plus aspirer y compris à travers les plaisirs les plus simples : « Etendus avec vos amis sur le frais gazon, près d’une source pure, sous le feuillage d’un arbre élevé, vous apaiserez agréablement votre faim, à l’heure où la saison sourit et où le printemps sème de fleurs la verte prairie ». Toutefois, ce n’est pas pour cela qu’il se contentera d’en rester là, à la manière d’un Epicure qui professe l’indifférence pour les problèmes. Au contraire Lucrèce a été bien plus loin que son maître dans l’intelligence du monde. Il veut voir les choses comme elles sont, trouvant même une beauté dans leur tristesse.

    La science a pris l’imagination du poète autant que sa raison. Elle évoque des tableaux grandioses, la naissance et la mort des mondes, l’éternel bouillonnement de la vie. Néanmoins Lucrèce a beau concevoir le monde comme une immense machine, il est pénétré par la vie obscure qui anime les êtres et les choses. Philosophe, il veut comprendre et savoir, mais il est poète avant tout et sa sensibilité a plus de chaleur que son intelligence n’a de lumière. Il prête à la nature des colères et des tendresses,  des douleurs et des joies, ce qu’il exprime en disant que « la mer a des perfidies et des sourires, les bois ont une voix et des chants, et les vents des rages furieuses ». ». Lucrèce connaît la nature et l’aime.

    Bien entendu, le style de Lucrèce est très dépendant  de cette forme de tristesse de l’âme et de ses pensées tellement austères. Il est sobre, vigoureux et grave, soucieux de précision, mais jamais de l’élégance. En fait il ne montre de la flamme et de la passion que lorsqu’il parle des religions qu’il exècre, comme je l’ai montré auparavant. Plus généralement, il sait aussi être émouvant quand il évoque la vie tout simplement, ce qui a fait dire à certains que « Lucrèce ne chante pas la Nature, mais qu’elle se chante dans ses vers ». Son modèle en matière de versification fut Ennius, ne cherchant pas le rythme et l’harmonie, ce qui ne l’empêche pas d’atteindre parfois une certaine magnificence. Bref, Lucrèce est sans nul doute le poète le plus original de la littérature latine, même s’il n’appartient pas à ce que l’on appelle la littérature classique.

    Michel Escatafal

  • Le théâtre au Siècle d’Or en Espagne

    Le théâtre est le plus populaire des genres littéraires dans sa forme achevée, la comédie, avec des auteurs aussi remarquables que Lope de Vega et Calderon de la Barca, dignes émules d’un Shakespeare, mais aussi de beaucoup d’autres qu’il serait fastidieux de nommer. La comédie à l’époque pourrait presque se comparer avec le cinéma de nos jours. Etant à la fois un art et un commerce,  elle a  pour fin essentielle de plaire au public, nous pourrions même ajouter au peuple, lequel paie pour être présent au spectacle, ce qui était résumé par la formule : « La meilleure manière d’écrire des comédies est de faire ce qu’il faut pour plaire au public, c'est-à-dire correspondre à ses désirs, à ce qu’il sait, à sa façon d’imaginer le monde ».

    L’opinion des seigneurs ou des rois n’est pas très importante dans le théâtre espagnol du Siècle d’Or, et en cela la comédie espagnole diffère de la tragédie française. Avec le grand  nombre de ses épisodes et son action à la vue du public,  ce mélodrame ne se préoccupe pas beaucoup d’analyse psychologique. Avant tout le théâtre a besoin d’une absolue liberté, repoussant règles et unité. « Quand je dois écrire une comédie je range les préceptes avec six clés » affirme Lope de Vega dans son Art nouveau d’écrire des comédies dans ce temps.

    On repousse l’unité de lieu. On transfère sans effort  le spectateur de Madrid, à Séville ou à Rome, du palais à la prison ou dans la rue grâce à l’absence de décorations qui sont remplacées par quelque objet symbolique, apporté par un domestique que l’on suppose invisible : Un fauteuil ? Nous sommes dans un palais. Un pot de fleurs ? Allons pour un jardin, etc. (mode de fonctionnement adopté en France il y a quelques décennies  par les compagnies de théâtre, le T.N.P., J.L. Barrault etc.).

    Il n’y a pas d’unité de temps non plus. Cervantes, traduit par Boileau, disait que le héros de certaines comédies « est dans le premier acte un enfant dans ses langes, dans le second déjà un homme portant la barbe, et dans le troisième marche avec trois pieds », ce qui signifie marcher avec une canne.  Et il n’y a pas davantage d’unité de d’action.  Le personnage doit se transformer en double ou en triple pour conserver un caractère comique, par exemple dans le cas des amourettes des jeunes premiers pour les « gracieuses ». On embrouille soigneusement une intrigue romanesque, qui abonde d’incidents de toutes sortes, de surprises, de péripéties et de quiproquos.

    Enfin la comédie  évite l’unité de ton. On passe sans transition, de même que dans le théâtre shakespearien, du tragique au burlesque, de la poésie la plus délicate au réalisme le plus comique. Toujours écrite en vers, la comédie se déroule sur trois journées, parfois même sur cinq à l’intérieur desquelles on ne distingue aucune division comparable aux scènes françaises.  L’évolution de l’action est indiquée par le changement de versification. Les mètres de la comédie sont aussi variés que ceux des autres éléments. Le romance (vers d’octosyllabes avec rimes assonantes), les petites rondes (strophes de quatre vers), les décimes  ou redondillas (strophes de dix vers) et le sonnet sont les plus utilisés. Tant de variété confère à la comédie un charme évident, et surtout lui donne à la fois flexibilité et aisance.

    Nous pourrions aussi parler des formes, avec des comédies multiformes que l’on peut classer de diverses manières, à savoir comédies de saints (biographies) et de légendes dévotes,  comédies historiques, romanesques, fantastiques,  d’intrigues, de cape et d’épée, ou de costumes etc. Les ressorts de tout cela sont surtout l’amour, considéré par les poètes ibériques comme l’élan vital de la jeunesse,  et l’honneur, tellement important en Espagne et pas seulement au Siècle d’Or. Pour parler comme aujourd’hui, je dirais que l’honneur fait partie intégrante de l’identité nationale espagnole. L’honneur c’est l’opinion ou la réputation dont chacun d’entre nous peut jouir. L’un et l’autre, sources d’attitudes élégantes et d’actions audacieuses, ont donné  leur forme à ce théâtre si jeune et passionné, lui conférant une grande valeur poétique et sociale.

     

    Parmi les plus illustres auteurs dramatiques du Siècle d’Or, il faut citer le premier en date, Lope de Rueda (1510-15656), génie et auteur à la fois, ce qui veut dire qu’il écrivit des comédies tout en dirigeant une compagnie, un peu comme le poète Hardy chez  nous. Il fut celui qui sortit le théâtre des palais pour le mettre à la portée du public. A ce titre il reçut les éloges de Cervantes qui l’avait vu jouer personnellement. Ensuite il y eut Juan de la Cueva (1543-1610), sévillan, qui orienta le théâtre vers les sujets nationaux, mais en les romançant dans ses représentations. Il contribua à diversifier les mètres. D’abord marqué par l’influence de Pétrarque, il introduisit très vite des thèmes tirés du « Romancero », mais aussi de l’histoire contemporaine (El saco de Roma y muerte de Borbon)

     

    A Valence, important centre de production dramatique, « l’académie des nocturnes » regroupe de nombreux génies ou considérés comme tels. Le plus connu d’entre eux, Guillen de Castro (1569-1631), composa une cinquantaine de comédies. Son œuvre la plus fameuse, Las  Mocedades del Cid, qui servit de modèle à Corneille, est un ingénieux tissu de romances traditionnelles. A Madrid, Cervantes, après quelques essais dramatiques de forme assez classique, notamment la tragédie de Numancia,  mais aussi les comédies El Trato de Argel y Los banos de Argel, pleines de souvenirs de sa captivité, et les enchanteurs Entremeses (en français intermèdes) comme El retablo de las Maravillas, La Cueva de Salamanca, El juez de los divorcios, etc., se retira avant  l’écrasant succès  de celui à qui l’on avait donné comme surnom  le « phénix des génies », Lope Félix de Vega Carpio.

     

    Michel Escatafal

     

  • Caecilius Statius : le renouveau de la comédie latine

    Caecilius Statius.pngDans mon précédent billet j’ai évoqué la réussite de Plaute, mais le public de Rome réclamait du nouveau. Il allait l’avoir avec Caecilius Statius, né entre 220 et 230 et mort en 168 ou 166  avant notre ère, ami intime et contemporain d’Ennius, ancien esclave de la Gaule Cisalpine qui venait d’être soumise (219). Caecilius Statius  allait en effet  assurer la transition entre Plaute et Térence, en épurant la farce en se rapprochant de celui qu’on appelait le « comique raffiné », le Grec Ménandre (vers 343-292 avant J.C.), dont il fut le traducteur d’après Cicéron et Aulu-Gelle.

    Affranchi à Rome, Statius prit le nom de Caecilius, son patron, qui appartenait sans doute à l’une des plus grandes familles de Rome, les Caecilii Metelli. Cependant, n’oubliant pas qu’il avait été esclave et que la plupart des esclaves étaient appelés Statius, il en fit ensuite un surnom et s’appela Caecilius Statius. C’est sous ce nom qu’il passa à la postérité.

    Nous n’avons de lui que de courts fragments, conservés dans l’œuvre d’Aulu-Gelle qui cite plusieurs passages de son Plocium (collier) traduit de Ménandre, et les titres de la plupart de ses pièces, par exemple Obolostates (Le Peseur d’oboles) ou Nauclerus seu Portitor (Le Patron du Navire)…), ce qui apparaît a priori insuffisant pour que l’on s’intéressât à lui.

    Mais comme l’a dit Cicéron dans le livre 2 du De Finibus, le fait que ses pièces soient désignées par leur seul nom sans référence à l’auteur, est une indication suffisante pour mesurer leur popularité à l’époque. Plus encore, il fut celui qui prépara la voie à Térence, l’auteur qui faisait sourire sans rire, dont j’aurai le plaisir de parler prochainement.

    Caecilius Statius imitait les Grecs plus fidèlement et plus scrupuleusement que Plaute. Les critiques dramatiques anciens, notamment Volcacius Sedigitus et Varron, le plaçaient au premier rang des poètes comiques, et lui reconnaissaient une supériorité marquée dans la conduite de l’intrigue et le pouvoir d’émotion, par comparaison avec Plaute. Son but n’était pas de provoquer des éclats de rire, mais plutôt de respecter la vraisemblance des situations et des caractères, au point qu’il eut à se plaindre parfois des rigueurs du public.

     On raconte enfin, sans que l’authenticité en soit prouvée, que c’est à Caecilius Statius que Térence, envoyé par les édiles, soumit sa première comédie, avec un accueil plutôt froid du vieux poète…en train de dîner. Mais cela ne dura pas, et à la lecture de l’Andrienne il laissa très vite éclater son admiration pour le jeune débutant. Cela étant, contrairement à ce que nous pouvons lire un peu partout, c’est bien Caecilius Statius qui fit figure de pionnier de la seconde génération des littérateurs romains. Ces derniers n’avaient peut-être pas le  courage et l’espérance de ceux qui les ont précédés (Ennius, Plaute), mais leur goût plus formé les engagea à moins attendre d’eux-mêmes que de leurs maîtres.

    Michel Escatafal

  • La comédie à Rome : Plaute (251-184)

    plaute.jpgDes diverses formes de l’art dramatique à Rome, la comédie est celle qui a été la mieux étudiée grâce à deux poètes, Plaute et Térence, dont nous possédons des œuvres entières. Aujourd’hui nous allons parler de Plaute qui a certainement été parmi les plus grands comiques de l’Antiquité. Il naquit en Ombrie, à Sassina, vers le milieu du 3è siècle avant notre ère. Après avoir gagné quelque argent à Rome en se chargeant de construire les installations pour les jeux scéniques,  il se ruina en investissant dans le commerce maritime. Pour vivre il fut contraint de louer ses bras à un meunier, mais comme cela n’était pas très gratifiant il décida de nouveau de revenir vers le théâtre, mais en composant des comédies. Et ce fut le succès. Aujourd’hui il nous reste une vingtaine de pièces considérées comme authentiques par son commentateur Varron, sur les 130 qui lui furent attribuées.

    Le fond des pièces est toujours emprunté à la Grèce, et les intrigues reposent toujours sur des faits anecdotiques. De toute façon il ne pouvait que faire des emprunts à la Grèce parce que la loi lui interdisait d’évoquer la vie politique des Romains, pas plus que la vie privée des citoyens romains. Voilà pourquoi, dans toutes ses pièces, l’action se déroule  à Athènes avec des  personnages portant le manteau grec et non la toge romaine. Cela ne l’a pas empêché toutefois de passer pour un observateur  sincère de la vie de son temps et de son pays. Malgré tout il reste dans l’imitation des Grecs, parfois même en faisant de la traduction pure et simple, sans s'interdire toutefois de retrancher des détails, de changer les caractères, voire même de modifier complètement la fin de l’intrigue quitte à interrompre la pièce.

    Son but était de plaire à son public, et ce public il le connaissait bien ne serait-ce que par ses activités antérieures. Il était essentiellement composé de plébéiens, échappés du travail des champs et essayant d’oublier les dettes qu’ils avaient à rembourser. Devant eux se trouvaient quelques patriciens férus de culture grecque plus ou moins égarés au milieu de cette multitude. Enfin aux derniers rangs se trouvaient les esclaves attirés autant par les galettes fumantes et le vin frais que par le goût de la comédie. Enfin on n’oubliera pas les femmes, avec leur progéniture et les nourrices, qui étaient là essentiellement pour être vues ou pour discuter entre elles des difficultés de la maison conjugale. Avec pareil public, on conçoit aisément qu’il n’était pas nécessaire d’être très regardant quant à l’intrigue elle-même, dont l’action utilise toutes les ficelles du vaudeville, contrairement à ce qui se passait autrefois sur les gradins du théâtre athénien, où ne se pressaient qu’une foule raffinée et nourris de belles légendes.

    Le génie de Plaute aura donc été de faire applaudir ses comédies en se nourrissant des travers de la société romaine à la faveur d’un déguisement étranger. Voilà pourquoi il reste un personnage important dans la lecture de la société romaine de son époque. On voit même avec beaucoup de précision le déclin des anciennes mœurs,  le goût de ses contemporains pour le luxe et le plaisir contrastant avec l’austérité des siècles précédents. On n’oubliera pas non plus l’exacerbation de certains défauts comme l’avarice (l’Aulularia ou si l’on préfère en français La Marmite  qui est devenu l’Avare chez Molière), la ruse et le mensonge y compris chez les dieux (Amphytrion), la friponerie et l’impudence dans Trinummus (L'Homme aux trois deniers) dont Destouches a pris quelques uns des meilleurs traits dans son Dissipateur, ou encore la fanfaronnade dans Miles gloriusus (Le Soldat fanfaron).

    Cependant Plaute ne se veut pas moraliste et n’entend pas davantage  interpeller ses spectateurs, et encore moins les corriger. Son but est  simplement de faire rire, y compris au besoin par la grossièreté, ce qui fait dire à certains qu’à côté d’inventions joyeuses et irrésistibles, plus d’un passage dans ses pièces n’est que trivial et licencieux. Néanmoins si l’on retranche les gros-mots, tribut payé au bas-peuple de l’époque, il reste un langage comique abondant à souhait et très naturel.  Mieux encore, sa langue puisée aux sources populaires nous rend la vieille langue romaine avec toute sa saveur. Pour toutes ces raisons nous comprenons aisément les emprunts de Molière à certaines pièces de Plaute. Après tout l’un et l’autre voulaient plaire au peuple, et chacun à son époque réussit dans son entreprise au-delà de toute espérance.

    Michel Escatafal