De ses nombreuses œuvres il ne nous reste de César que ses Commentaires sur la guerre des Gaules et sur la guerre civile, que tous ceux qui ont fait du latin pendant quelques années ont étudiés. La guerre des Gaules est racontée en sept livres. Le premier livre contient les campagnes de César contre les Helvètes et les Germains d’Arioviste, qui menaçaient de s’établir en Gaule et, partant, aux portes de l’Italie. Aux deuxième et troisième livres nous assistons aux luttes du général et des ses lieutenants : au Nord-Est contre les Belges, à l’Ouest en Armorique et en Normandie, au Sud-Ouest en Aquitaine. Pour briser tout lien entre les Gaulois et les barbares du dehors, César va frapper de grands coups en Grande-Bretagne et au-delà du Rhin (quatrième livre). Cependant les Gaulois ont compris que les Romains sont venus chez eux, non pour les défendre, mais en conquérants.
Du coup Ambiorix et Indutiomar chefs respectivement des Eburons et des Trévires, songent à organiser une révolte d’ensemble et font courir les plus grands dangers à l’armée romaine (cinquième et sixième livres). Bientôt même une ligue nationale s’est formée, et toute la Gaule se lève à l’appel de Vercingétorix. La victoire hésite un instant, et César est obligé de lever le siège de Gergovie. Cela étant Vercingétorix est contraint de s’enfermer dans Alésia, et finit par succomber malgré l’énergie désespérée qu’il met à sa résistance (septième livre). Un huitième livre composé par Hirtius, lieutenant de César, achève le récit de la soumission des Gaules (prise d’Uxellodunum en 51 av. J.C.) et retrace l’accueil triomphal de César à son retour en Italie. Les Commentaires sur la guerre civile ne se composent que de trois livres et comprennent les évènements du début de la guerre en Espagne (livre1), en Afrique(livre 2), jusqu’à Pharsale et au commencement de la guerre d’Alexandrie.
Si l’on étudie de près les œuvres historiques de César, les Commentaires devraient plutôt s’appeler les Mémoires. En effet, comme nous l’avait appris notre professeur de latin, le mot Commentaires que nous avons francisé et que nous employons généralement pour étudier l’œuvre de César et le titre qu’il lui donna, signifie Mémoires. Si j’apporte cette précision c’est avant tout pour rappeler que ces écrits, composés au lendemain des luttes qu’ils racontent, sont destinés avant tout à la gloire personnelle de César, loin donc de l’impartialité que l’on attend d’un historien quand il traite d’un passé déjà lointain.
Cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne faille pas prendre en compte ce qu’il raconte, mais même s’il ne se laisse pas aller à la vanterie, même s’il ne se met pas en scène constamment, son texte fait sentir partout sa présence. Il sait aussi admirablement présenter les faits de façon à susciter l’approbation du lecteur. En revanche, même s’il parle sans haine de ses ennemis, il ne manque pas de souligner leurs défauts. Pour lui Vercingétorix et Arioviste sont d’abord des barbares courageux et violents, oubliant l’héroïsme du héros malheureux d’Alésia ou l’habileté du chef germanique. Toutefois si l’impartialité lui fait défaut, il faut en revanche souligner l’exactitude matérielle des faits rapportés, au point que l’archéologie et la science militaire peuvent prendre son livre pour guide.
En fait César est tout simplement un grand écrivain. Par la grandeur des évènements qu’ils retracent, par le génie de leur auteur, les Commentaires sont une authentique et importante composition historique, même s’ils n’en ont point la forme. Certains disent qu’il a écrit comme il a fait la guerre, en allant droit au but. N’oublions pas que César était d’abord un général et un homme d’Etat, et en aucun cas un peintre ou un moraliste. Chez lui, point de préambule où il explique ses intentions ou ses goûts, pas de portraits longuement étudiés qui nous font rentrer dans l’âme des acteurs de l’histoire, ce qui nous permet d'être tout de suite dans le vif du sujet.
La Guerre des Gaules s’ouvre par une description purement topographique du pays, et si au sixième livre il écrit une vingtaine de chapitres sur les mœurs des Gaulois et des Germains, il ne donne point d’autres détails sur ces peuples que ceux qu’il lui importait de savoir avant sa guerre de conquête. Il voit les faits, l’état des institutions, ce qui nous permet de discerner un commencement d’organisation féodale en Gaule. « Non seulement toutes les cités, mais aussi tous les bourgs et toutes les parties de bourg, et même toutes les familles renferment des factions…Ces factions ont pour chefs ceux qui passent, dans l’opinion du pays, pour avoir le plus d’autorité ; c’est à leurs décisions qu’on s’en réfère pour les délibérations et les questions générales. Le but de cette institution, qui est fort ancienne, paraît être d’assurer une protection à tout homme du peuple contre les puissants ». Au passage on peut mesurer la finesse de l’observation !
Mais de ces faits, il ne tire aucune réflexion sur la destinée ou l’avenir de la nation gauloise. Il se contentera simplement de profiter des divisions amenées par ce morcellement du pouvoir. César sera tout aussi sobre dans la Guerre civile qui, par son sujet même, semblait appeler des considérations politiques. En outre, dans les quelques discours que l’on rencontre dans les Commentaires aucun n’a l’ampleur que ces morceaux prennent d’habitude chez les historiens anciens. En fait ce sont des résumés où ne trouve place que ce qui intéresse directement la situation présente, ou encore ce qui pouvait toucher et convaincre les hommes auxquels il s’adresse. Point de rhétorique, que de l’action ! Et ces actions, aux yeux de César, n’avaient besoin d’aucun ornement. Il est vrai que la matière de l’ouvrage était assez large pour qu’il fût assuré d’obtenir toujours l’intérêt, sans avoir besoin de le solliciter.
Le style est tout aussi sobre avec essentiellement des phrases courtes. Cicéron est sans doute celui qui l’a le mieux caractérisé quand il en a loué la nudité, la pureté, la beauté sans parure, quand il a dit à propos des Commentaires « qu’ils sont comme de belles peintures placées dans un beau jour ». L’expression qu’il cherche et qu’il trouve est toujours la plus propre, la plus simple, et la plus usitée. Dans son traité de l’Analogie, il recommandait particulièrement « d’éviter, comme un écueil, les expressions nouvelles et insolites ». Enfin, malgré toute sa culture, il ne s’interdisait point les négligences ou les répétitions, pensant que cela pouvait rendre ses textes encore plus captivants. En tout cas, même s’il leur manquait l’émotion et la chaleur, les Commentaires de César sont sans aucun doute une des œuvres la plus accomplie de la prose latine.
Michel Escatafal